Plantage météo

Mardi dernier, comme presque chaque jour, je consulte le bulletin de Météo France. Et là, je tombe en arrêt: grand soleil annoncé pour la journée de jeudi, nuit claire et étoilée, quelques petits nuages pour vendredi. De plus, ce sera une quasi-pleine lune ! L'idéal pour un bivouac automnal. Cela fait plusieurs semaines déjà que j'attends les conditions optimales. J'ai encore une bonne réserve de jours de congés, du crédit à la pointeuse ... je n'hésite pas longtemps.

 

Jeudi 5h30, je gare le fourgon aux chalets du S... . Le gros sac est bien chargé, mais je me suis malgré tout dispensé du tarp, la nuit s'annonçant claire, je dormirai à la belle étoile. Je monte d'un pas lent sur le sentier des A..., déjà maintes fois emprunté pendant l'été. J'y croise toujours un ou deux bouquetins, parfois endormis sur le sentier !

Un peu avant le lac, je pose le sac et m'équipe pour passer quelques heures assis dans les myrtilles. La température est très clémente, aussi je ne juge pas utile de prendre la polaire. Quarante-quatre ans et toujours aussi bête ! Je m'installe près du torrent, là où j'avais déjà pu observer deux chamois au début du mois d'août. Il est 7h10. A 7h23, le renard apparaît. Il ne m'a pas vu, ni senti, ni entendu. Malgré la pénombre, je tente quelques clichés, qui seront très sous exposés, mais que j'espère pouvoir rattraper "au tirage", car cette fois, je vais tenter d'exploiter le format raw !! Visiblement, il a repéré un mulot ou une souris dans les herbes, car il s'arrête et tourne la tête pour écouter, puis il profite du terrain vallonné pour disparaître. Quelques minutes plus tard, mes deux chamois arrivent. Exactement au même endroit que la dernière fois. Ils m'ont bien repéré mais comme je suis assis, tout habillé de vert, et cagoulé, ils ne reconnaissent pas une silhouette humaine. Ils tolèrent donc ma présence. Ils broutent un petit moment, puis ils se couchent. Je me souviens qu'au mois d'août le soleil était arrivé assez rapidement. Aujourd'hui, il se fait désirer. Hé oui, on est en octobre ! Vers 9h, nous sommes toujours à l'ombre, je me recroqueville pour tenter de me réchauffer discrètement. Les chamois se lèvent, et me quittent. Je ne tiens plus, il faut que je marche, que je bouge !! Retour au sac, le soleil arrive, je repars et en moins de cinq minutes, je transpire à grosses gouttes.


Je me donne la journée pour parcourir la moitié de ma boucle habituelle. Un peu plus loin, c'est toute une troupe de chamois que mon passage dérange. Ils occupent toujours le même secteur.

Arrivé au petit collu, je pose le sac et sors les jumelles. J'entends quelques brames qui montent du vallon de la D..., portés par le vent. Mais je ne vois aucun cerf. En scrutant l'arête située en face de moi, à 850 m environ à vol d'oiseau (d'après la carte), je distingue une silhouette, juste à l'endroit où j'avais ramassé quelques grosses plumes. Au bout de 40 ou 50 secondes, ma silhouette bouge, il s'ébroue !! Bingo ! J'avale 3 gorgées d'eau, une compote, et ... je n'en crois pas mes yeux: un deuxième aigle arrive et vient se poser juste à côté du premier. Je file, seulement chargé de l'appareil photo et des jumelles, je laisse le sac pour aller plus vite, être plus mobile, plus réactif. J'espère pouvoir m'approcher un peu, suffisamment pour une ou deux belles photos, en me cachant derrière un morceau d'arrête. En attendant, tous les 100 m environ, je fais une rapide pause photo - jumelage. Le deuxième aigle repart, laissant seul celui que je suppose être un jeune. Je passe le col près du point 2289. A cet endroit, j'avance caché. Mais pas longtemps. Je suis maintenant à moins de 120 m. Si je veux avancer encore, il me faut faire quelques pas à découvert. Clairement je n'ai aucune chance de m'approcher d'avantage. Ce sera 120 m (peut-être 100 ?) ou rien. Je me couche dans les herbes, prends une poignée de clichés, puis je tente le passage, à un moment où il me tourne le dos. Je n'ai pas fait deux pas qu'il ouvre les ailes et plonge dans la pente.

Si j'étais sûr d'être capable de passer une journée sans bouger, je sais bien où j'irais me poster. Mais l'affût à l'aigle est particulièrement délicat. Il faut arriver sur place de nuit, se camoufler parfaitement (une tente serait idéale, mais pour la poser sur une arête !!), et attendre, surtout sans bouger, jusqu'à la nuit suivante, sans aucune certitude qu'il viendra se poser sur ce perchoir ce jour là !! La vraie stratégie consisterait même à venir installer un affût fixe, le laisser à demeure pendant quelques temps pour que les aigles s'y habituent, puis venir s'y cacher, en arrivant avant le lever du soleil (et sans frontale évidemment !). Cela représente beaucoup de temps, pour un résultat excessivement aléatoire, mais potentiellement fabuleux !

 

Bon, la tête pleine de toutes ces réflexions, je retourne au sac. Ca brame toujours. Je me poste sur un petit promontoire et balaye le vallon avec les jumelles. Tiens, ça bouge dans la mare de boue ! Un cerf ! Et une biche avec lui, se roulent dans la boue. Mais le temps de troquer les jumelles contre l'appareil photo, le cerf a déjà disparu. Et je suis très loin. Je charge donc le sac sur les épaules et descends un peu plus bas pour me rapprocher. Mais ils ont déguerpi ! Je passe un moment assis dans les myrtilles, à scruter ce vallon couleur de feu. Le coin est splendide mais il faudrait qu'un animal y passe à découvert, même tout petit ! L'heure tourne et il faut que je m'inquiète de trouver un endroit pour le bivouac. Je reprends donc le sac à dos et file en direction de la ruine sur la bosse 1911. Chemin faisant, j'observe deux chamois debout sur un rocher poli, qui prennent la pose. Je m'assieds pour bien caler mes coudes sur les genoux et pendant que je déclenche, j'entends siffler dans mon dos, tout près, à 15 ou 20 m. Je me retourne et débusque un beau mâle qui dévale la pente à une vitesse incroyable.


Je finis par trouver un bel emplacement, d'où je pourrai observer le vallon sur presque toute sa longueur, tout en restant caché derrière un rocher. Vraiment, je suis assez content de cette trouvaille, c'est l'endroit idéal. Le risotto chauffe doucement sur le réchaud tandis que les cerfs donnent un véritable concert de barytons basses. Mais aucun ne sort du bois. La photo du cerf se détachant sur l'arête en contre-jour ne sera pas pour ce soir. La nuit tombe vite et vers 19h, je me duvettise, comme dirait une certaine Véronique à laquelle je ne peux même pas envoyer de sms: zéro réseau ! Bien au chaud, les jambes toutes détendues, Morphée me tend les bras ! Soudain, ploc, ploc, ploc ... on dirait des gouttes de pluie qui s'écrasent sur le tissu déperlant de mon duvet. Ce n'est pas possible, les "copains de Bougnat" (= Météo France pour ceux qui ne connaissent pas Bougnat) avaient dit "nuit claire". Je passe un bras au dehors, pour vérifier. Le ciel est gris, la lumière de la gare d'arrivée du téléphérique du B... est à peine visible à travers les nuages, la lune "boit", c'est confirmé, il pleut ! Le seul truc imperméable que j'ai à ma disposition est un poncho. Déplié, il recouvre le duvet, de la tête au pied. Pour une averse de 15 minutes, ça ira bien. Mais je ne me vois pas passer toute la nuit sous le poncho, sans remuer. A 22h, la pluie cesse. Mais le ciel est entièrement bouché, à l'ouest une brume sournoise monte à l'assaut du vallon depuis S..., au sud-ouest, un autre détachement brumitif envahit la combe du P... . Clairement, ce n'est qu'une accalmie avant le déluge ! La plaisanterie a assez duré. Je range tout, et je m'esquive ! Dans la nuit, se faufiler au milieu des gouilles, enjamber les myrtilliers, pour retrouver le sentier, n'est pas une mince affaire. Le poncho me gène, il est trop long sur l'avant et je marche dessus. Je le tiens donc en mains pour le relever à hauteur des genoux: cette nuit je suis Don Camillo qui tient sa soutane retroussée pour pouvoir faire de plus grands pas sur la route qui le conduit chez Pepone !

Retour au fourgon: 2h du mat', au lit à 3h, non sans avoir enregistré des copies d'écran de quelques bulletins météo:

 

Calepin Montagne, bulletin émis jeudi 9 octobre à 19h28: "Les précipitations prévues plus à l'Ouest ont quelque peu transgressé les limites ce soir et le feront encore en partie demain Vendredi puisqu'initialement elles étaient censées nous épargner."

 

Chamonix-météo.com, bulletin du jeudi 9 octobre à 8h45: "Axe anticyclonique de la Russie aux Balkans. Dépression Katrin 984 hpa sur la mer d'Irlande, se décalant lentement vers le N-E en faiblissant. Puissant courant de S-O résultant sur la France. La dépression associée ondule du S-O au N-E en se décalant très lentement vers la Suisse. La région restera protégée des précipitations par l'effet de foehn jusqu'à vendredi. ... La nuit prochaine: nuages élevés - sec par effet de foehn - venté en altitude - pas de précipitations."

 

Météo-Chamonix.org, prévisions pour jeudi 9: Assez bien ensoleillé ... notamment dans les régions soumises au foehn qui reste soutenu. Le front pluvio-orageux qui s'étendra des Pyrénées à la Champagne aura tendance à froller le Jura en fin de journée, quelques averses ne sont alors pas exclues. ... Passages nuageux devenant plus nombreux par l'Ouest en soirée et nuit suivante avec des averses orageuses isolées notamment sur les reliefs les plus à l'Ouest, toujours bouché près de l'Italie malgré un foehn qui baisse un peu."

 

Concrètement: le foehn à bien rempli son rôle protecteur dans la journée. Le soir il était fatigué, il est parti se coucher, et la pluie est arrivée !! Et c'est le bulletin de météo-Chamonix.org qui était le plus près de la vérité.

 

Lendemain matin: pas de regret: le ciel est encore bien bouché, des nuages partout, peu de lumière. 

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