Pèlerinage en vallée des Glaciers

C'est une "vallée haute". Le hameau qui en marque l'entrée se situe à 1550 m d'altitude. On l'appelle généralement "la vallée des Chapieux". À tort car la Vallée des Chapieux est plus bas, en direction de Bourg Saint Maurice. L'IGN nomme ce vallon d'altitude "la Vallée des Glaciers". C'est d'ailleurs aussi le nom du torrent qui en descend. Logique, puisqu'il prend sa source au pied du "Glacier des Glaciers", dominé par "l'Aiguille des Glaciers". Et à l'altitude révolutionnaire de 1789 mètres, se tient "la Ville des Glaciers".

En rive droite du glacier des Glaciers, vers 3200 m d'altitude (un peu plus haut que "le col des Glaciers"), se trouve Le Col du Moyen Âge.

Au bout de cette vallée se trouve le col de la Seigne (2516 m), col transfrontalier qui donne accès au Val Veny et à Courmayeur.

C'est une vallée contrastée: En rive droite du torrent des Glaciers, les pentes douces et ensoleillées du versant sud s'élèvent jusqu'à la ligne de crête des Tufs et des Fours, qui ondule entre 2650 et 2700 m. En ligne droite, 2,9 km séparent la Ville des Glaciers du col des Tufs (2650 m). Sur l'autre rive du torrent, les pentes nord sont abruptes, franchement raides: seulement 1,8 km entre la Ville des Glaciers et le col de l'Ouillon (2612 m, le trail du Petit St Bernard y passe).  Photo 5: panorama XXL (j'ai collé ensemble plusieurs photos) depuis le col des Tufs (à peine plus haut sur la crête): les pentes sud sont un livre ouvert, le regard y plonge et se heurte au mur du versant nord.

Sur les pentes de cette Vallée des Glaciers, on faisait paître les troupeaux. On s'y est battu aussi. Chalets d'alpage enfouis sous la neige, constructions militaires, casernements, plaques commémoratives.

Se battre au milieu des montagnes ? Tirer sur l'ennemi, faire feu sur d'autres hommes, en ces lieux ? En altitude, au pied des glaciers et des neiges éternelles, partout symboles de pureté, royaume des divinités ? Mais quelle idée ?
Une idée très simple, enfantine, d'une logique sans faille. Ces montagnes sont des remparts plus solides et plus infranchissables que la muraille de Chine. Ces hauts massifs glaciaires sont impénétrables, chaque pic, chaque aiguille est un donjon imprenable. Partout les montagnes ont toujours été des lieux de refuge, et de résistance. Franchir ces chaînes montagneuses avec une armée constitue une bataille en soi, une épopée, sans qu'il soit besoin d'affronter autre chose que le relief et les éléments.

Vous êtes en randonnée et venez de suer sang et eau pour gravir un col dans le Queyras, vos pieds sanguinolents sont couverts d'ampoules, la peau de vos talons a disparu et la sueur ruisselle sur la chair à vif, les tendons ne sont pas loin ! Vous serrez les dents et fermez les yeux mais la douleur vous emporte, un caillou, qui contient peut-être un mollusque pré-historique fossilisé, roule sous votre pied, vous trébuchez et plongez tête la première dans ... une faille temporelle. Vous remontez le temps, encore, encore un peu, soudain le sol tremble, et les barrissements déchirent l'air, ils arrivent, les éléphants d'Hannibal, devant le Mont Viso !

En ski de randonnée, vous êtes héroïquement lancé à l'assaut du col du Grand Saint Bernard, à plus de 2400 m. Il neige, il vente, le grésil vous fouette le visage et brouille votre vue. Vos yeux ne distinguent rien mais vos oreilles perçoivent des voix. "Hooo Hisse ... Hooo Hisse". Sur la neige les 40 000 grognards de l'Empereur (alors Premier Consul seulement) tirent sur les cordes pour hisser des troncs d'arbres évidés sur lesquels sont posés les précieux canons de l'artillerie. L'armée de Bonaparte franchit le col du Grand Saint Bernard entre le 24 floréal et le 3 prairial de l'an IX (entre le 14 et le 23 mai 1800) lors de la deuxième campagne d'Italie.

Ajoutons qu'entre Hannibal et Bonaparte, Charlemagne aussi a traversé les Alpes avec son armée.

Là, vous vous dîtes "Il va pas bien Psyko, il délire complet, il est barré, loin, loin, sûrement à cause de ce foutu couvre-feu !" ("Psyko" c'est mon ancien surnom, de l'époque des sorties Full Moon).

Je ne délire pas du tout. Skis aux pieds, je ne pense à rien de tout cela lorsque j'entre dans cette vallée des glaciers. Je ne me fais pas un cours d'histoire au col des Tufs !

Mais je sais tout cela, j'en ai conscience. J'ai connaissance de quelques morceaux d'histoire, j'ai lu des livres, des récits, j'imagine ce que ces montagnes ont vu, j'ai parcouru le chemin de la crête des Gittes, taillé dans la pente Nord pour que les troupes puissent monter se poster sur les hauteurs sans être vues depuis les positions italiennes.

Et puis surtout il y a l'isolement, le silence, la solitude. Au col des Tufs, le parking de Notre Dame de la Gorge est à 6 km derrière moi, à vol d'oiseau. Devant moi, Bourg Saint Maurice est à 13 km, à vol d'oiseau aussi, et à cette date la route est encore fermée à hauteur de Bonneval. Avant l'ouverture de la route, les traces de ski existent, il y en a, parfois. Mais elles ne sont pas nombreuses.

Lorsque j'arrive à quelques encablures de la Ville des Glaciers, j'aperçois un gypaète qui s'éloigne, il vole bas. Presque en rase mottes: il vient juste de décoller, je l'ai dérangé c'est certain. Un gypaète barbu était posé au sol à 100 m de la Ville des Glaciers. Et des traces partout dans la neige. Animales, toutes.

J'adore cet endroit.

Bonus du jour

Depuis deux ou trois semaines, je suis en "apprentissage": je m'entraine à utiliser un objectif "ultra macro" (le Laowa 65 mm).

Fort grossissement, mise au point manuelle, possibilité de s'approcher du sujet jusqu'à 17 cm, et profondeur de champ ultra réduite même en fermant fortement le diaphragme (celui de l'objectif, pas le mien !).

Je m'exerce sur les crocus, qui sont chaque jour plus nombreux. Je joue avec la lumière en positionnant mon genou ou mon tibia de manière à maintenir la fleur dans l'ombre et l'arrière plan dans la lumière. J'ai même tenté un "éclairage studio" pour créer un fond totalement blanc (avec une petite lampe ronde). J'ai aussi profité du coup de gel qui a dessiné de jolies sculptures en bordure de ruisseau. 

Bonus "du lendemain"

Aujourd'hui je suis allé récupérer la caméra automatique. Elle est restée tout l'hiver accrochée à un arbre dans la forêt, aux environs de 1700 m d'altitude, en versant nord, sur un petit bout de pente douce entouré de zones plus raides. C'est tout près d'une mare de boue (à la belle saison bien sûr).

Les dates sont indiquées sur les photos, elles sont exactes. Vous verrez l'évolution du manteau neigeux, qui disparait presque totalement début mars, avant de reprendre 50 cm entre le 13 et le 14 mars.
1ère image: en nocturne: une biche dans la neige jusqu'au ventre. Suivent un faon, un jeune cerf, un canidé qui n'est sûrement pas un renard (!), puis deux jours après, un renard qui transporte son repas !! Et enfin, le 7 avril: tempête de neige et - 10° !

À noter que cet après midi, 15 avril, j'ai pris une belle grosse averse de neige (+ de 30 minutes), qui tenait au sol, et le chemin en sous bois était parfois gelé et verglacé, même à 14h !

Écrire commentaire

Commentaires: 0

Je ne suis pas un photographe professionnel. J'ai un métier que j'exerce à temps complet. Je suis simplement un "photographe randonneur" passionné de montagne et de nature, la photographie est un loisir que je pratique pendant mon temps libre, en pur amateur. Photographier des animaux sauvages exige de passer beaucoup de temps sur le terrain.

 

Néanmoins je me ferai un plaisir de répondre à vos questions et à vos demandes aussi rapidement que je le pourrai. N'hésitez pas à me contacter:

 

lemonde.denhaut@mail.fr

Les photos et les textes présentés sur ce site ne sont pas libres de droit. Leur reproduction sans autorisation écrite de leur auteur est interdite, quel que soit le support. Merci de respecter la passion de l'auteur, le temps passé sur le terrain, les heures de marche, le temps passé devant l'écran et l'investissement dans le matériel.